Leszek Bernat
Fondé en 2010, le Palais royal est un ensemble assez atypique dans le paysage de la vie musicale française (j’ai déjà eu l’occasion d’écrire sur eux sur ce même site), il est composé d’un orchestre jouant avec instruments anciens et d’un chœur professionnel. Leur fondateur et directeur est le remarquable chef d’orchestre et organiste Jean Philippe Sarcos, dont les centres d’intérêt partent de la fin du 17e siècle jusqu’au début du vingtième.
Pourtant, l’objectif de Sarcos, et même sa vocation artistique, n’est pas exclusivement la présentation de ce répertoire sus dit. Car, voici depuis déjà de nombreuses années, il s’efforce de renouveler et de rafraîchir la forme des concerts, privilégiant le contact rapproché avec le public. A celui-ci, il propose avant chaque œuvre exécutée un discours préalable, alors le chef dans un style direct et particulièrement élégant, rend proches aux auditeurs les secrets de l’œuvre à venir, le contexte de leur création, leur architecture, leur ambiance et avant tout leurs significations cachées et peu perceptibles tout de suite à tout un chacun : musical, poétique, philosophique etc… Chacun peut alors avoir l’impression, que c’est vraiment à lui que parle le chef. Il retient aussitôt l’attention par ses propos introductifs, même de ceux qui se frottent rarement – ou pas du tout- à la musique, les rapprochant de l’œuvre et au même moment les encourageant à une présence plus régulière dans les salles de concert. Le contact avec le public est ici d’autant plus renforcé que le chœur chante tous ses morceaux de mémoire, ce qui est une pratique rare.
Enfin, ce n’est pas sans signification que l’ensemble du Palais royal réside dans la salle de l’ancien conservatoire de Paris, créée au début du 19e siècle dans le projet d’être destinée aux concerts orchestraux et non comme cela était l’habitude alors pour les opéras. Il faut se souvenir que c’est dans ce lieu à la très riche histoire qu’eurent lieux les premières d’une grande partie du répertoire français de premier rang, comme par exemple, la symphonie fantastique de Berlioz (en 1830). En dehors du beau décor, l’atout supplémentaire de cette salle est sa dimension intime qui permet toujours autant de proximité entre les exécutants et le public.
On pouvait s’en convaincre une nouvelle fois au cours du dernier concert que Sarcos proposa à ses déjà fidèles auditeurs début Mars. Il y était pour l’oratorio complet les Saisons de Joseph Haydn, texte de Gottfried Van Swieten basé sur le poème The seasons de James Thomson. Un fait éveilla beaucoup d’intérêt, Sarcos décida d’exécuter l’œuvre proposée dans sa rare version française dont le texte fut rédigé par le baron Van Swieten au même moment que le texte allemand. Il faut rappeler que la première édition de la partition de Haydn parut en Mai 1802 par la maison d’édition Breitkopf et Härtel en deux tommes. Il s’agit en effet de deux éditions analogues : la première avec un texte allemand et anglais, la seconde avec un texte allemand et français. Dans cette situation, le retour à la version française est une entreprise des plus justes qu’Haydn lui même exprime de ses vœux dans sa correspondance afin que son œuvre soit toujours représentée dans la langue du pays où elle est exécutée. En cela il faut une grande reconnaissance à Jean Philippe Sarcos d’avoir pleinement respecté les volontés du compositeur.
Aux représentations parisiennes, il a invité un trio de solistes soigneusement sélectionnés : la soprano Clémence Barrabé (Jeanne), le ténor Sébastien Obrecht (Lucas) et la basse Aimery Lefèvre (Simon). Il faut d’ailleurs souligner que l’ensemble des exécutants avait parfaitement perçu l’esprit de cette musique, à l’aide de laquelle Haydn s’efforçait de proposer des liens originaux entre la nature et le cœur du peuple, exprimant au même moment son profond amour de la vie. Sous la battue de Sarcos, les morceaux exposant des peintures musicales magistrales sonnaient aussi agités, que les épisodes d’un climat plus intime, prononcés par moment sous forme de prière, furent souvent pénétrés de sentiment de mélancolie et de tristesse. Grâce à cela, la joie des scènes collectives au caractère rustique n’était pas en état d’étouffer l’expression fervente de la foi d’Haydn remplie de confiance et d’amour qui émane aussi de cette partition. Et cette union harmonieuse des deux sphères de l’existence populaires est ce qui fait précisément de cette composition un véritable chef d’œuvre dont les exécutions parisiennes furent accueillies ces jours-ci dans la salle historique de l’ancien conservatoire par un nombreux public rassemblé avec un enthousiasme sincère.